Quand on évoque les établissements de santé (hôpital / clinique / EPHAD, …), on pense à des médecins, des infirmières, des patients, des soins. Mais derrière une consultation ou une opération chirurgicale, se cache une organisation complexe… souvent invisible, mais essentielle pour améliorer l’expérience du patient. Pour mieux la comprendre – et surtout l’améliorer – une discipline discrète, mais puissante entre en scène : la modélisation mathématique.
C’est quoi la modélisation mathématique ?
La modélisation mathématique, c’est un peu comme faire une carte très détaillée d’un système, ici l’hôpital, en représentant toutes ses composantes : les tâches, les informations échangées, les ressources humaines et matérielles, et l’organisation globale.
La modélisation formelle s’appuie sur la systémique, une approche qui considère un hôpital non pas comme une somme d’éléments isolés, mais comme un système global, où chaque action, chaque acteur et chaque ressource interagit avec les autres. Un retard à l’accueil peut impacter la consultation, qui elle-même influence un rendez-vous pour obtenir un scanner, jusqu’à la sortie de l’hôpital. En pensant l’hôpital comme un ensemble de processus interconnectés, on peut mieux comprendre ses dysfonctionnements, anticiper les effets en chaîne, et imaginer des améliorations durables.
La figure ci-dessous présente une approche de modélisation de l’architecture d’un système, dans lequel trois sous-systèmes sont en interaction : le système opérationnel regroupe l’ensemble des processus du système (la prise en charge d’un patient par exemple), le système de pilotage regroupe les mécanismes de prise de décision (quel diagnostic pour l’orientation d’un patient, ou encore quelles ressources affecter à un service de soins), et le système d’information regroupe l’ensemble des données nécessaires pour la mise en œuvre du système et la prise de décision.

Imaginez que vous puissiez simuler un service de consultation, prévoir ce qui se passerait si vous ajoutiez un poste d’infirmier ou changiez l’ordre des tâches. Grâce à la modélisation mathématique couplée à d’autres outils comme la simulation, c’est possible.
Pourquoi est-ce utile en santé ?
Un hôpital (une clinique, un centre de lutte contre le cancer, un EPHAD …), c’est un peu comme une ville miniature : on y soigne, on y planifie, on y décide, on y communique. Mais ces interactions sont souvent complexes, et les erreurs ou les lenteurs peuvent avoir un impact direct sur les soins.
Grâce à la modélisation :
- On peut proposer un formalisme clair et sans zones d’ombre pour communiquer entre partenaires d’un projet et appliquer ensuite plusieurs outils d’analyse.
- On peut tester différents scénarios sans risque, comme dans un simulateur.
- On peut anticiper les engorgements et améliorer les temps d’attente.
- On peut évaluer les coûts réels d’une procédure, jusqu’au niveau micro.
- On peut proposer des méthodes pour communiquer efficacement entre médecins, gestionnaires et informaticiens.

Quels outils sont utilisés ?
Plusieurs méthodes ont été développées au fil du temps pour modéliser des systèmes complexes comme les hôpitaux. Parmi les pionniers de cette approche figure le professeur François Vernadat, qui a largement contribué dans les années 1990 à formaliser les techniques de modélisation d’entreprise (F. Vernadat, Techniques de Modélisation en Entreprise : Applications aux Processus Opérationnels, Economica, Paris, 1999). Ces travaux s’inscrivent dans une discipline largement utilisée dans l’industrie : le génie industriel.
Plusieurs méthodes existent. Parmi les plus connues :
- IDEF0 : une méthode graphique développée dans les années 1970, utilisée pour décomposer les fonctions d’un système en blocs clairs et interconnectés.
ARIS : un cadre méthodologique complet apparu dans les années 1990, qui permet de représenter différentes vues d’un système (fonctionnelle, informationnelle, organisationnelle, etc.). - UML (Unified Modeling Language) : un langage de modélisation issu du génie logiciel, qui permet de représenter les objets, les interactions et les comportements d’un système. Très utilisé pour concevoir les logiciels hospitaliers ou modéliser des systèmes d’information de santé.
- BPMN (Business Process Model and Notation) : un langage graphique conçu pour décrire les processus métiers de manière simple et intuitive. Il est particulièrement adapté à la cartographie des parcours patients et à la collaboration entre équipes médicales et administratives.
La figure ci-dessous illustre la brique de base d’un modèle IDEF0 : une fonction (une activité) transforme un input en un output sous certaines contraintes (control) et grâce à certains mécanismes (mechanism ou ressources).

Un exemple concret : l’hospitalisation d’une personne âgée suite à un passage aux urgences
Prenons le parcours à l’hôpital d’une personne âgée : passage aux urgences, hospitalisation en court séjour gériatrique (CSG), soins médicaux et de réadaptation (SMR). Derrière ce scénario en apparence banal se cachent plusieurs activités, ressources (logiciels, personnels, documents), décisions à prendre. Grâce à la modélisation, on peut analyser chaque étape, repérer les goulots d’étranglement pouvant générer de l’attente pour le patient, calculer les coûts, et même proposer une nouvelle organisation plus fluide.
La figure ci-dessous présente un logigramme simplifié de ce processus : les patients arrivent dans le service d’urgence. Si une hospitalisation est nécessaire, le patient est transféré vers un service de court séjour gériatrique, ou un autre service selon la pathologie. Suite au court séjour gériatrique, si le patient nécessite un suivi, il peut être transféré vers un service de soins médicaux et de réadaptation (SMR).
Dans ce parcours, plusieurs goulots d’étranglement peuvent exister à chaque étape : entre les urgences et le CSG, entre le CSG, et le SMR, etc. Ces goulots peuvent être dus à un manque de ressources (on parle de lits associés aux ressources humaines adéquates), et dégradent la qualité de service. Ainsi, un indicateur important que nous pouvons mesurer est la durée de séjour dans les différents services. Un autre indicateur important pourrait être le taux d’occupation des lits.
Afin d’évaluer les performances de ce système, il est nécessaire d’implémenter le modèle dans un outil de simulation à événements discrets par exemple. Cette implémentation requiert aussi des données à collecter dans l’hôpital. Enfin, la modélisation peut également donner lieu à un modèle d’optimisation, qui permet de déterminer les meilleures décisions à prendre tout au long du parcours.
En résumé
La modélisation mathématique ne remplace pas les médecins, mais elle aide à mieux organiser le soin. C’est une boussole pour les décideurs, un langage commun pour les équipes, et une boîte à outils pour améliorer la qualité des soins… sans forcément dépenser plus.
Alors, la prochaine fois que vous attendez en salle d’attente, souvenez-vous : quelque part, des chercheurs modélisent votre parcours pour que, demain, votre expérience soit plus fluide et plus humaine.
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