La simulation de flux au service des soignants

Imaginez pouvoir repenser l’organisation d’un service hospitalier, non pas à l’aveugle, mais en testant d’abord vos idées dans un hôpital virtuel. Et si ce patient attendait 15 minutes de moins ? Et si on ajoutait une salle ? Grâce à la modélisation et la simulation de flux, on peut visualiser, prédire, et optimiser… sans prendre le moindre risque pour les patients.

Mais c’est quoi, la simulation de flux ?

Dans un hôpital, tout est affaire de flux : de patients, de soignants, de médicaments, de lits, d’examens… Chaque étape du parcours de soin est reliée à une autre. La simulation de flux, c’est un moyen d’évaluer une organisation à partir d’un modèle (n’hésitez pas à consulter nos articles précédents à ce sujet !).

On utilise ensuite un ordinateur pour simuler différents scénarios sous la forme d’un plan d’expérience. Ces scénarios peuvent être imaginés par les professionnels de santé sous forme de question : que se passerait-il si un médecin de plus arrivait ? si la salle d’attente était réorganisée ? si un test devenait plus rapide ?

Il est aussi possible de simuler des milliers de scénarios en faisant varier les paramètres du modèle de simulation afin de trouver la meilleure organisation possible : cette recherche peut être exhaustive (mais c’est très parfois très long !) ou optimisée, grâce à des méthodes issues de la recherche opérationnelle.

Le logiciel permet alors de voir l’impact sur les indicateurs de performance : par exemple le temps d’attente, le nombre de passages aux urgences ou le coût total des soins.

Un exemple très concret : le service des urgences

Prenons le service des urgences. Chaque jour, des dizaines de patients arrivent sans rendez-vous. Certains sont rapidement repartis, d’autres doivent passer des examens ou être hospitalisés. La gestion des flux y est critique.

La première étape consiste à modéliser ce qui se passe. Pour cela, plusieurs approches existent : le modèle peut être créé à partir d’entretiens avec les soignants, à la main, ou bien automatiquement si des données sont disponibles à l’aide d’un outil de fouille de processus (process mining) par exemple. Un modèle très simplifié pour illustrer cette approche pourrait ressembler à ça :

Avec un logiciel de simulation comme AnyLogic, il est possible d’implémenter un tel modèle au moyen d’un outil graphique et de l’animer :

Enfin, un plan d’expérience permet d’obtenir et d’analyser les résultats en tenant compte d’un intervalle de confiance. Par exemple (ces résultats sont bien entendu fictifs !) :

ScénarioParamètresIndicateurs de performance
Taux d’arrivéeNombre de médecinsDurée de passageUsage des ressources
110 patients/h24h +/- 10 min80% +/- 2%
215 patients/h34h30 +/- 15 min85% +/- 3%

En résumé, on peut simuler l’activité heure par heure, calculer les durées moyennes de passage, repérer les goulots d’étranglement à partir du taux d’utilisation des ressources, et surtout… tester des solutions. Par exemple : que se passe-t-il si on ajoute un infirmier d’accueil et d’orientation ? ou si l’on convoque un médecin en renfort ?

Il existe plusieurs types de simulation… selon ce que l’on cherche à comprendre

Dans le monde de la santé, toutes les situations ne se simulent pas de la même façon. Il est possible de chercher à prévoir l’encombrement d’un service, d’optimiser les ressources, ou d’observer le comportement d’une population de patients.

🎲 1. La simulation de Monte Carlo

Utilisée pour explorer des scénarios incertains ou aléatoires, elle repose sur des modèles de probabilité, souvent sous forme de chaînes de Markov (où l’état futur dépend uniquement de l’état actuel) ou de machines à états. Par exemple, on peut modéliser les différentes étapes d’évolution d’une maladie (état stable, aggravation, guérison, etc.) et simuler leur enchaînement sur des milliers de patients.

👉 Ces modèles de Markov couplés à la simulation de Monte Carlo sont très utilisés en médico-économie pour évaluer l’évolution d’une cohorte sur le long terme. 

Dans l’exemple ci-dessous tiré de (Rui et al. 2020), un modèle de Markov très simple permet de représenter l’évolution d’un cancer pour une cohorte de patients avec trois états (progression, sans progression, décès). Chaque patient est simulé indépendamment en déterminant l’état suivant à partir de probabilités attachées aux transitions.

🧾 2. La simulation à événements discrets

C’est la méthode la plus utilisée pour l’optimisation de l’organisation d’un système par expérimentation. La simulation à événements discrets repose sur une succession d’événements ponctuels (ex. : arrivée d’un patient, début de consultation, fin de soin). On l’associe souvent à des modèles de files d’attente. Cette approche permet de tester l’impact d’un changement d’organisation (par exemple : “Et si on rajoute un médecin ?”).

👉 La simulation à événements discrets est utilisée depuis plus de 40 ans dans l’industrie pour optimiser l’usage de ressources humaines et matérielles. Elle s’applique parfaitement au domaine de la santé à condition de tenir compte de toutes les particularités (on parle de patients et non de produits !)

L’exemple ci-dessous présente le modèle le plus simple possible dans lequel des entités arrivent dans un système, font la queue pour accéder à une ressource (ou serveur), puis quittent le système après le service. Ce petit exemple représente parfaitement votre dernière visite au bureau de poste par exemple !

♻️ 3. La dynamique des systèmes

Ici, on ne regarde plus des événements individuels, mais l’évolution de grandes quantités dans le temps (nombre de lits occupés, niveau de stress d’une équipe, etc.) à l’aide d’équations différentielles. Cette méthode est utile pour les décisions stratégiques ou politiques, sur le long terme.

👉 Parfait pour modéliser l’impact global d’une réforme ou d’une épidémie sur plusieurs années.

L’exemple ci-dessous est tiré de la revue de littérature de (Darabi et Hosseinichimeh, 2020) et illustre l’évolution de l’état de santé d’un patient en fonction de plusieurs autres variables.

🧍🧍 4. La simulation multi-agents

Chaque “agent” (patient, soignant, logiciel…) est simulé avec son propre comportement. Les interactions entre agents permettent de faire émerger des dynamiques complexes. On l’utilise quand les comportements individuels influencent le système global (par exemple : la peur de la contamination ou un confinement change le comportement des patients).

👉 Utile pour simuler les comportements humains dans un hôpital ou dans une crise sanitaire. Le modèle est dirigé par les comportements individuels plutôt que par un modèle du système.

L’exemple ci-dessous tiré de (Castro et al. 2022) illustre l’utilisation d’un modèle multi-agent pour simuler l’évolution d’une épidémie telle le COVID-19. La localisation des personnes est prise en compte pour modéliser la transmission de la maladie selon plusieurs environnement (hôpital, école, etc.).

Figure 2

🧍‍⚕️ 5. La simulation en santé avec mannequins (ou en réalité virtuelle)

Ce petit panorama ne serait pas complet sans parler de simulation en santé pour la formation à l’aide de mannequins ou en réalité virtuelle. Contrairement aux simulations numériques, cette approche repose sur des situations cliniques reproduites dans un environnement physique. On utilise des mannequins haute fidélité, des jeux de rôles ou même la réalité virtuelle pour simuler des actes médicaux (réanimation, accouchement, gestes techniques…). Elle permet aux soignants de s’entraîner sans risque pour les patients, d’améliorer la communication en équipe, de gérer les situations d’urgence et de développer des réflexes face à l’imprévu.

👉 C’est une méthode validée et promue par la Haute Autorité de Santé (HAS) comme outil de formation, de prévention des erreurs et d’amélioration continue de la qualité des soins (source HAS).

Les différentes techniques de simulation en santé sont illustrées dans la figure ci-dessous, tirée de la même source.

En pratique, ces approches peuvent aussi se combiner dans des projets complexes. L’essentiel est de choisir la bonne méthode pour le bon problème, comme on choisirait un outil dans une boîte à outils !

Le mode d’emploi

Un mode d’emploi simplifié pour utiliser la simulation pourrait ressembler à cela :

  1. On collecte des données : si une base de données existe, c’est plus simple ! Sinon, il faut répondre à plusieurs questions : quel est le taux d’arrivée des patients ? combien de temps dure une consultation ? quelle est la capacité des locaux ?
  2. On modélise le parcours : on décrit chaque étape du processus à l’aide d’outils de simulation. Ne pas oublier d’identifier les paramètres du modèle (les leviers d’action) et les indicateurs de performance (qui permettent d’évaluer nos scénarios).
  3. On valide et on simule : après une validation (grâce à des méthodes quantitatives d’évaluation ou à dire d’expert) le logiciel fait tourner des scénarios.
  4. On analyse les résultats : on mesure les indicateurs de performance (délais, files d’attente, coûts…) grâce à un plan d’expérience.
  5. On décide en connaissance de cause : l’outil ne prend pas la décision seul ! Mais les professionnels de santé disposent de résultats objectifs pour prendre la décision.

En résumé

  • La simulation de flux aide à comprendre, prédire et améliorer le fonctionnement des services de santé.
  • Elle repose sur des données réelles et des outils mathématiques accessibles.
  • Elle permet de tester avant d’agir, et donc de mieux décider.
  • Elle est déjà utilisée dans de nombreux hôpitaux français et dans le monde : bloc opératoire, urgences…

Pour aller plus loin…

La conférence internationale Winter Simulation Conference propose une archive ouverte de ses actes avec un track santé comportant de nombreux exemples d’application. N’hésitez pas à y jeter un œil !

Références

(Augusto et al. 2015) Augusto, V., Murgier, M., and Viallon, A. A MODELLING AND SIMULATION FRAMEWORK FOR INTELLIGENT CONTROL OF EMERGENCY UNITS IN THE CASE OF MAJOR CRISIS. 2018 Winter Simulation Conference (WSC), Gothenburg, Sweden, pp. 2495-2506 (2018). doi: 10.1109/WSC.2018.8632438.

(Castro et al. 2022) Castro, B.M., Reis, M.d.M. and Salles, R.M. Multi-agent simulation model updating and forecasting for the evaluation of COVID-19 transmission. Sci Rep 12, 22091 (2022). https://doi.org/10.1038/s41598-022-22945-z

(Darabi et Hosseinichimeh 2020) Darabi, N. and Hosseinichimeh, N. System dynamics modeling in health and medicine: a systematic literature review. Syst. Dyn. Rev., 36: 29-73 (2020). https://doi.org/10.1002/sdr.1646

(Rui et al. 2020) Rui, M., Shi, F., Shang, Y. et al. Economic Evaluation of Cisplatin Plus Gemcitabine Versus Paclitaxel Plus Gemcitabine for the Treatment of First-Line Advanced Metastatic Triple-Negative Breast Cancer in China: Using Markov Model and Partitioned Survival Model. Adv Ther 37, 3761–3774 (2020). https://doi.org/10.1007/s12325-020-01418-7

Améliorer l’organisation des hôpitaux… avec des modèles mathématiques

Quand on évoque les établissements de santé (hôpital / clinique / EPHAD, …), on pense à des médecins, des infirmières, des patients, des soins. Mais derrière une consultation ou une opération chirurgicale, se cache une organisation complexe… souvent invisible, mais essentielle pour améliorer l’expérience du patient. Pour mieux la comprendre – et surtout l’améliorer – une discipline discrète, mais puissante entre en scène : la modélisation mathématique.

C’est quoi la modélisation mathématique ?

La modélisation mathématique, c’est un peu comme faire une carte très détaillée d’un système, ici l’hôpital, en représentant toutes ses composantes : les tâches, les informations échangées, les ressources humaines et matérielles, et l’organisation globale.

La modélisation formelle s’appuie sur la systémique, une approche qui considère un hôpital non pas comme une somme d’éléments isolés, mais comme un système global, où chaque action, chaque acteur et chaque ressource interagit avec les autres. Un retard à l’accueil peut impacter la consultation, qui elle-même influence un rendez-vous pour obtenir un scanner, jusqu’à la sortie de l’hôpital. En pensant l’hôpital comme un ensemble de processus interconnectés, on peut mieux comprendre ses dysfonctionnements, anticiper les effets en chaîne, et imaginer des améliorations durables.

La figure ci-dessous présente une approche de modélisation de l’architecture d’un système, dans lequel trois sous-systèmes sont en interaction : le système opérationnel regroupe l’ensemble des processus du système (la prise en charge d’un patient par exemple), le système de pilotage regroupe les mécanismes de prise de décision (quel diagnostic pour l’orientation d’un patient, ou encore quelles ressources affecter à un service de soins), et le système d’information regroupe l’ensemble des données nécessaires pour la mise en œuvre du système et la prise de décision.

Imaginez que vous puissiez simuler un service de consultation, prévoir ce qui se passerait si vous ajoutiez un poste d’infirmier ou changiez l’ordre des tâches. Grâce à la modélisation mathématique couplée à d’autres outils comme la simulation, c’est possible.

Pourquoi est-ce utile en santé ?

Un hôpital (une clinique, un centre de lutte contre le cancer, un EPHAD …), c’est un peu comme une ville miniature : on y soigne, on y planifie, on y décide, on y communique. Mais ces interactions sont souvent complexes, et les erreurs ou les lenteurs peuvent avoir un impact direct sur les soins.

Grâce à la modélisation :

  • On peut proposer un formalisme clair et sans zones d’ombre pour communiquer entre partenaires d’un projet et appliquer ensuite plusieurs outils d’analyse.
  • On peut tester différents scénarios sans risque, comme dans un simulateur.
  • On peut anticiper les engorgements et améliorer les temps d’attente.
  • On peut évaluer les coûts réels d’une procédure, jusqu’au niveau micro.
  • On peut proposer des méthodes pour communiquer efficacement entre médecins, gestionnaires et informaticiens.

Quels outils sont utilisés ?

Plusieurs méthodes ont été développées au fil du temps pour modéliser des systèmes complexes comme les hôpitaux. Parmi les pionniers de cette approche figure le professeur François Vernadat, qui a largement contribué dans les années 1990 à formaliser les techniques de modélisation d’entreprise (F. Vernadat, Techniques de Modélisation en Entreprise : Applications aux Processus Opérationnels, Economica, Paris, 1999). Ces travaux s’inscrivent dans une discipline largement utilisée dans l’industrie : le génie industriel. 

Plusieurs méthodes existent. Parmi les plus connues :

  • IDEF0 : une méthode graphique développée dans les années 1970, utilisée pour décomposer les fonctions d’un système en blocs clairs et interconnectés.
    ARIS : un cadre méthodologique complet apparu dans les années 1990, qui permet de représenter différentes vues d’un système (fonctionnelle, informationnelle, organisationnelle, etc.).
  • UML (Unified Modeling Language) : un langage de modélisation issu du génie logiciel, qui permet de représenter les objets, les interactions et les comportements d’un système. Très utilisé pour concevoir les logiciels hospitaliers ou modéliser des systèmes d’information de santé.
  • BPMN (Business Process Model and Notation) : un langage graphique conçu pour décrire les processus métiers de manière simple et intuitive. Il est particulièrement adapté à la cartographie des parcours patients et à la collaboration entre équipes médicales et administratives.

La figure ci-dessous illustre la brique de base d’un modèle IDEF0 : une fonction (une activité) transforme un input en un output sous certaines contraintes (control) et grâce à certains mécanismes (mechanism ou ressources).

Un exemple concret : l’hospitalisation d’une personne âgée suite à un passage aux urgences

Prenons le parcours à l’hôpital d’une personne âgée : passage aux urgences, hospitalisation en court séjour gériatrique (CSG), soins médicaux et de réadaptation (SMR). Derrière ce scénario en apparence banal se cachent plusieurs activités, ressources (logiciels, personnels, documents), décisions à prendre. Grâce à la modélisation, on peut analyser chaque étape, repérer les goulots d’étranglement pouvant générer de l’attente pour le patient, calculer les coûts, et même proposer une nouvelle organisation plus fluide.

La figure ci-dessous présente un logigramme simplifié de ce processus : les patients arrivent dans le service d’urgence. Si une hospitalisation est nécessaire, le patient est transféré vers un service de court séjour gériatrique, ou un autre service selon la pathologie. Suite au court séjour gériatrique, si le patient nécessite un suivi, il peut être transféré vers un service de soins médicaux et de réadaptation (SMR).

Dans ce parcours, plusieurs goulots d’étranglement peuvent exister à chaque étape : entre les urgences et le CSG, entre le CSG, et le SMR, etc. Ces goulots peuvent être dus à un manque de ressources (on parle de lits associés aux ressources humaines adéquates), et dégradent la qualité de service. Ainsi, un indicateur important que nous pouvons mesurer est la durée de séjour dans les différents services. Un autre indicateur important pourrait être le taux d’occupation des lits.

Afin d’évaluer les performances de ce système, il est nécessaire d’implémenter le modèle dans un outil de simulation à événements discrets par exemple. Cette implémentation requiert aussi des données à collecter dans l’hôpital. Enfin, la modélisation peut également donner lieu à un modèle d’optimisation, qui permet de déterminer les meilleures décisions à prendre tout au long du parcours.

En résumé

La modélisation mathématique ne remplace pas les médecins, mais elle aide à mieux organiser le soin. C’est une boussole pour les décideurs, un langage commun pour les équipes, et une boîte à outils pour améliorer la qualité des soins… sans forcément dépenser plus.

Alors, la prochaine fois que vous attendez en salle d’attente, souvenez-vous : quelque part, des chercheurs modélisent votre parcours pour que, demain, votre expérience soit plus fluide et plus humaine.

Pour plus d’informations, écrivez-nous à contact@dali.science !